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La vie est belle en dehors du Journal de Montréal

C’est bien rare que je pense à Richard Martineau. Je devrais peut-être m’en faire un peu plus de savoir que quelqu’un au discours aussi vide puisse encore avoir un public. Toujours est-il que quand on m’a fait lire sa dernière chronique, j’étais hilare. Dans ce que le torchon de Montréal continue d’appeler un texte d’opinion plutôt qu’une incitation à la haine, Martineau décrit ses soi-disant ennemis, une organisation travaillant dans l’ombre pour contrôler la société pendant la quarantaine et faire bannir les sages de Facebook: les geeks-nolife-otaku-complotistes-handicapés.

Grâce à un virus, ils ont réussi à virer le monde sens dessus dessous et à nous attirer dans leur grotte.

J’ai beau me qualifier moi-même de geek et d’otaku, je n’arrive pas à être insulté par ce pamphlet, tout simplement parce que la description que Martineau a donnée correspond pile à l’image que je me fais de son public.

Enfermés dans leur chambre, ils passent leur journée à surfer sur internet pour trouver des preuves qu’ils ne sont pas fous, que les idées débiles qui hantent leur cerveau du matin jusqu’au soir sont au contraire des intuitions géniales, des signes de grande lucidité et une marque indéniable de supériorité intellectuelle.

Mais je ne suis pas dupe, je sais très bien que la réalité est nuancée et que l’image que je me fais des boomers influençables à la solde du maléfique Martineau est une caricature. Parce que j’ai beau être fan de dessins animés, je sais distinguer la réalité de la fiction. Quand je regarde les personnes d’un certain âge dans mon entourage, je vois des gens avec beaucoup d’expérience et un bagage différent du mien, qui leur fait voir le monde autrement. Des gens avec qui j’aimerais pouvoir échanger afin qu’on puisse mieux se comprendre. Ça me surprendrait vraiment d’être le seul chanceux à ne connaitre aucun simplet, donc j’assume que tout le monde est complexe, même les fans de Martineau.

Si vous n’avez pas peur d’écouter les propos d’un handicapé émotionnel, j’aimerais porter à votre attention les informations que Richard Martineau aurait dû chercher avant de parler de mouvements sociaux et culturels qu’il ne comprend visiblement pas. Quand vous insultez un groupe de gens avec un ensemble d’étiquettes tellement divers qu’ils peuvent s’appliquer à n’importe qui, c’est un peu difficile de vous prendre au sérieux.

Geek est un terme qui se voulait au départ insultant, au même titre que nerd ou queer, et qui était utilisé pour désigner les excentriques qu’on pouvait voir dans les cirques. Éventuellement, le terme est devenu une insulte de cour d’école pour désigner n’importe quelle personne avec des centres d’intérêts peu populaires.

Le terme a toutefois été réapproprié par un mouvement culturel aujourd’hui très large. Les geeks, ce sont les adeptes de jeux de rôles à la Dungeons & Dragons, de jeux vidéo, de bandes dessinées, de dessins animés, de littérature de fiction, voire même d’artisanat. En 2020, c’est un peu ridicule de parler des geeks comme s’il s’agissait d’une seule communauté alors que le terme désigne tous les gens qui ont envie de partager leur passion. Les geeks sont loin d’être les antisociaux qu’on prétend.

Otaku c’est un terme qui est utilisé en Amérique pour parler de fans de culture japonaise, surtout de mangas et séries d’animation. Les otakus sont des geeks, mais la majorité des geeks ne sont pas des otakus. Les personnes monomaniaques, comme dirait Martineau, qui sont socialement ineptes et vivent à côté du monde, on les appelle plutôt les nolifes ou les weeaboos, mais ce ne sont pas des insultes que vous avez besoin de retenir.

Donc non, Martineau, la quarantaine n’a pas fait de toi un un otaku. Un nerd. Un geek. Navré de t’apprendre quelque chose, mais l’internet est depuis longtemps le canal de communication principal des gens de 30 ans et moins, et les 2,6 milliards d’utilisateurs actifs de Facebook ne sont pas tous des nolifes qui complotent pour te réduire au silence parce qu’ils sont jaloux des gens normaux. S’il y a bien quelque chose de normal et de pas geek du tout, c’est d’utiliser Facebook. Mais si ce n’est pas des geeks dont tu voulais parler, qui est cet ennemi invisible dont tu as si peur?

Les conspirationnistes, ce sont des gens qui se perçoivent comme des sceptiques rationnels alors qu’ils remettent en question uniquement ce qui ne confirme pas leur instinct. Ces individus vivent tellement dans le déni qu’ils s’imaginent souvent que des gens complotent contre eux, comme le gouvernement, la communauté scientifique ou le comité des 300 pédophiles reptiliens. Ils confondent corrélation et causalité, et s’expliquent que si la corruption est un problème réel, alors absolument toutes les théories farfelues sont possibles. Ces débiles ont toujours existé, mais l’internet leur a permis de se rassembler et de se convaincre entre eux de leur propre génie. Il vaut mieux ne pas leur donner d’attention, là-dessus je suis d’accord avec Martineau. Mais mon grand, depuis le 7 mai, j’ai pas mal l’impression que le conspirationniste ici c’est toi.

Vous avez beau vous obstiner pendant 10 heures avec un gars qui croit que la Terre est plate, que Sophie Thibault est une reptilienne ou que le coronavirus a été créé en laboratoire par des extra-terrestres, après 10 heures, ce crétin n’aura pas changé d’un iota.

Effectivement. Je n’ai pas besoin de 10h pour comprendre ça. J’ai grandi avec l’internet, et même si parfois j’ai envie de croire qu’il suffit d’un tweet pour convaincre les xénophobes fermés d’esprit que la diversité c’est bien, je sais qu’il faut choisir ses combats. Je suis malheureusement pogné devant mon ordi pour bien plus longtemps que je le souhaiterais, mais je m’adapte. Parce que malgré le confinement, les geeks continuent de socialiser, contrairement à ceux qui s’isolent en promouvant la discrimination et la ségrégation sociale.